♢♢ There's no such thing as fate

au purgatoire des innocents

L'enfant frissonne. L'autre aussi. Mais deux bras plein de chaleurs viennent les enserrer. Les rassurer. Les réchauffer. La nuit approche. Ils n'aiment pas la nuit.
Ils n'aiment pas les ombres qu'elle dessine sur les murs de leur chambre. Ça va aller, qu'il leur murmure. Et ça suffit à les calmer.
Soren et Murray. Murray et Soren. Deux corps, une seule âme. Deux petits garçons qu'on leur avait offert. Sur un plateau d'argent sans argent. Destinés à mourir un jour, comme tout le monde. Destiné à vivre longtemps, on le présume. Mais on n'en sait rien, au fond.
(...)
Allez Sony, viens jouer ! Murray, il veut tout le temps jouer. Et Sony, il ne joue qu'avec Murray. Avec les autres, il fait le grand, comme si ça ne l'intéressait plus. Ils ont le même âge, mais souvent Soren s'est senti comme plus âgé avec son jumeau. Comme s'il devait le protéger, de tout. Comme s'il devait veiller sur lui, à jamais. À présent, ce sont les bras de Sony que Murray demande le soir, quand il a peur. Ou la nuit, quand les cauchemars reviennent le hanter. Ou bien ses quelques notes de violon. Ça le calme de suite. Quand il s'imagine le terrible. Quand ce qu'il n'a pas vu prend pourtant vie dans sa tête. Quand son cerveau lui assène les terribles paroles de l'officier de l'armée. Je suis désolé. Ça a suffit à tout dire. Papa était soldat. Pas souvent. De temps en temps. Quand ils avaient besoin.
Longtemps, il est resté avec eux.
Parfois, il devait partir quelques semaines.
Un jour, il n'est plus jamais revenu. Maman ne le sait pas, mais Sony lui a volé la dernière lettre qu'il a écrite. Il mettait toujours un mot pour eux, dedans. Dans la dernière, il ne savait pas qu'il allait mourir. Personne ne peut le savoir, n'est-ce pas ? Non, personne.
Alors, le soir, après avoir consolé Murray, Sony la déplie souvent. Il la connait par coeur, à force. Il ne pleure plus dessus, maintenant. Il a trop peur d'effacer les lettres. Mais à la lumière d'un téléphone, d'une bougie ou d'un briquet, il lit. Il s'imagine la voix de son père qui la lui écrit. Il ferme les yeux.
Il l'entend presque. Surtout la dernière phrase.
Soren, prends soin de Murray. Toujours.

jusqu'à-ce que la mort nous unisse

J'arrive chez toi là, tu veux que je m'arrête prendre une bonne bouteille ? Sony se met à rire. Murray ne change pas. Ils ont vingt-cinq ans mais sont toujours aussi soudés. Il ne se passe pas trois jours sans qu'ils ne se voient. Comme un besoin vital. Au téléphone, Sony secoue la tête, comme si son jumeau pouvait le voir.
Mais à l'autre bout du fil, Murray sait très bien les mimiques de son frère.
Non, viens direct, j'ai tout ce qu'il faut ici. Murray hoche la tête. Et là aussi, Sony sait qu'il le fait. Il sait aussi qu'il va lui dire « c'est d'accord » mais qu'il va quand même passer acheter une bouteille de rouge. C'est d'accord. Sony sourit puis raccroche.
L'un prépare le dîner. Quelques amis, quelques couverts, une ambiance détendue puis festive pour la suite où ils iront écumer les bars. Parfait pour le nouvel an.
L'autre repart. L'épicier lui a fait un prix, une bonne bouteille de rouge à un modeste prix. Décidément, c'est fête ce soir.
L'un passe un dernier coup d'aspi, histoire que tout soit clean dans l'appartement.
L'autre met les clignotants pour s'engager dans la rue.
L'un se met à la fenêtre, guette l'arrivée de son frère, premier invité.
L'autre guette aussi la fenêtre et depuis la voiture, fait un signe. Je vais chercher une place, articulent ses lèvres muettes.
Sony ne l'entend pas. Ne l'entendra plus jamais. Il lui sourit.
Leurs regards s'accrochent, ne se lâchent plus – ne se lâcheront plus jamais. Du virage arrive un peu vite un bolide qui percute le véhicule de Murray avec une violence inouïe.
Soren, à la fenêtre, est resté figé.
Il sort en hurlant, en courant. Les deux voitures sont abîmées, mais il s'en fiche.
Aux volants, aucun survivant.
Définitivement, il ne l'entendra plus jamais. Ni parler, ni rire.
Ni rien.

satan était un ange et il le redeviendra

Murray Lionheart. Voilà ce qui est marqué dessus. Sur cette triste pierre, debout dans ce triste cimetière.
Sony pleure à chaque fois. À chaque fois qu'il vient ici. C'est-à-dire tous les mercredis. Il emmène souvent son violon. Joue quelques fois. Pour la mémoire de son frère. Cinglant requiem qui lui revient en pleine face comme une injure. Comme une trahison. Pardon, Murray. Pardon, papa. Il n'a pas réussi. À le protéger, à veiller sur lui. Pourtant, ils sont grands, aujourd'hui.
Pourtant, vingt-cinq ans, c'est pas si grand. Vingt-cinq ans, c'est pas assez grand pour mourir. Qu'est-ce qu'il va faire, maintenant ? Il ferme doucement les yeux. Voudrais ne pas les rouvrir. Ça fait seulement un mois. Et c'est de pire en pire. La douleur ne s'épanche pas. La culpabilité non plus. Aucune épaule sérieuse sur laquelle pleurer. Maman a rejoint papa il y a de ça plusieurs années déjà. Et maintenant, Murray. Quand est-ce que c'est mon tour ? Soren rouvre les yeux et fixe les feuilles qui tombent. Elles sont mortes, elles aussi. Mais aujourd'hui, mercredi, Sony ne pleure pas pour elles. Il pleure pour Murray. Il pleure pour lui-même.
Il enfouit sa tête entre ses mains. Il se rappelle les bras rassurants de son père autour de lui. Est-ce qu'il est fier de son fils, à cet instant ? Sûrement pas. Qu'est-ce que je fais, maintenant ? Maintenant que t'es plus là, Murray. Maintenant qu'il est seul.
Dans la poche intérieure de sa veste, il ressort la lettre. Elle est jaunie par les années. Froissée, à force d'être transportée.
Soren, prends soin de Murray. Toujours. Il pleure de nouveau. La relit du début. Mes amours, ici ce n'est pas très rose. Mais je sens que je suis utile à l'armée, c'est un bon sentiment.
Utile. Voilà ce qu'il a besoin d'être. Il a besoin de se sentir utile.
Lorsque Soren quitte le cimetière, il a le cœur un peu plus léger. Le lendemain, il se sera déjà envolé. Pour être utile, lui aussi. Pour mourir, peut-être, là-bas comme Papa. Ou pour y survivre. Pour Murray, aussi. En sa mémoire.

ne serait-tu pas Peter du chaperon rouge ?
excellent choix d'avatar, et bienvenu parmi nous.

Spoiler:

Sony Lionheart a écrit:

callum + ooooowh   on peut s'arranger, pour ça, au pire..   ( et en passant sur ta fiche, j'ai vu que tu étais aussi en suisse ) merci en tout cas