La douceur du foyer familial était nécessaire à Eden. C'était son oxygène et son refuge. Il en voyait des choses, il en entendait des histoires horribles, il en rencontrait des enfants dont les passés étaient terrifiants. Et tout ça n'était supportable que grâce au bonheur d'être entouré, aimé et protégé à la maison. Summer Delhow était comme lui. Elle était apaisante et calme. Elle cherchait les mêmes choses, et vivre avec elle était en soi un cadeau qu'il se plaisait à déballer quotidiennement. Summer rendait la vie possible. Elle rendait les journées plus courtes et les nuits plus longues. Elle avait les cheveux blonds et un air rayonnant. Elle était un soleil, et Eden en avait presque peur d'en ternir l'éclat. Il était chanceux. L'existence s'était un jour dérobée sous ses pieds, et il avait perdu ses deux parents. Et jusqu'à sa rencontre avec cette femme, sa femme, il s'était senti perdu et esseulé. Lorsqu'il l'épousa, il eu la chance de retrouver ce qu'il lui avait été volé : un sentiment de paix.
Les journées ne perdaient pas de leur éclat. Il voulait fonder une famille, et faire ces choses qui lui manquaient : célébrer les anniversaires, célébrer les fêtes de fin d'année. Il y avait toujours quelque chose en lui qui voulait profiter de l'instant, et si possible, être entouré. Instantanément, les problèmes et les anxiétés disparaissaient. Cela durait une soirée, une semaine. Mais cela laissait toujours un souvenir agréable à rajouter à une collection qu'il voulait agrandir. Il ne voulait pas, comme certains Hommes, se replier sur lui-même. Au contraire, il voulait connaître son monde et en tirer le plus de choses qu'il pouvait. Lorsqu'il devint père, il était le plus heureux. Chaque moment était apprécié et il aimait voir sa petite fille grandir. Il aimait la voir vivre, et il aimait Summer. Ils étaient une famille.


"Toutes mes condoléances..." Il secouait la tête, incapable de répondre. "Commotion cérébrale..." Ils crachent des mots qu'ils ont déjà du dire auparavant. "... Rien pu faire afin de..." Eden s'écroula sur sa chaise, ne sachant que faire avec le flot d'informations qui lui était donné. Il passa ses mains sur son visage, essayant d'en enlever l'expression peinée. "... Décédés dans l'ambulance..." Il voulait qu'on le laisse seul, mais il avait peur de ne pas pouvoir le supporter. Peur de ne pas pouvoir vivre avec une solitude qui lui avait été imposée. Ils étaient morts sans rien demander, sans le chercher. En une soirée, ils avaient tous été emportés. Ses beaux-parents, sa femme. Elle ne sera jamais une mère à nouveau, et ils ne reviendront plus à Londres lors des vacances. Alors qu'il pensait à comment annoncer la nouvelle à sa fille, il se demanda tout simplement comment vivre à nouveau. Comment s'occuper de soi-même ainsi que de Ruth. Comment remonter la pente, alors qu'il n'avait même pas encore entièrement réalisé l'absence qu'il allait devoir supporter quotidiennement. Comment faire ? Les questions se bousculaient et l'agitaient, et il pleura. Il sortit de l'hôpital, resta un moment appuyé contre un mur. Il attendit un moment, espérant que les minutes pourraient calmer la tempête qui menaçait de l'avaler tout entier. Il n'avait pas le droit de flancher, pas le droit en tant que père. Mais, en cet instant, il avait l'impression d'avoir régressé au stade de l'enfant, attendant un signe de l'univers, attendant que l'on s'occupe de lui. Ce ne fut qu'après que les premiers émois le quittèrent qu'il réalisa qu'il avait de nouvelles responsabilités. Appeler sa belle-sœur et lui révéler la tragédie. Être le messager de la pire des nouvelles qui soit. Cela lui prit un moment avant de trouver en lui le courage de composer son numéro, ne sachant quels mots et quelles paroles échanger avec une personne qui lui était à la fois si proche et si étrangère. Il ne se souvenait qu'avoir parlé avec elle lors de son mariage. Le souvenir semblait si lointain, désormais. Winter. Lorsqu'elle décrocha, c'est comme si elle pressentait déjà le drame. Il s'en doutait, car il n'y avait sans doute aucune raison d'appeler sa belle-sœur à laquelle il aurait pu penser. Il entendit son "allo" à l'autre bout du combiné, et ne parvint qu'à prononcer son prénom, telle une question qui restera toujours en suspens. Elle lui demande si c'est la petite, si c'est Ruth. Il secoue la tête, même si elle ne peut pas le voir. "Non, non, elle va bien. Enfin... C'est Summer. Elle et tes parents ils ont eu un accident de voiture. Ils pleuvaient trop, ils ont pas vu le camion arriver, ils..." Il ne trouve pas le courage de le dire sans hésiter, comme si la réalité ne l'avait pas encore frappé. "Ils n'ont pas survécu." Des années de sa vie venaient de s'effacer. (...)